Enzo Ziani

La première fois que vous rencontrez Enzo, le mot qui vient d’emblée à l’esprit est, sans moquerie aucune, ours. Indubitablement, Enzo a l’allure de ce plantigrade. Il est de ces hommes qui ont une stature haute et massive tout en ayant une apparence tranquille mais la comparaison d’avec l’animal s’arrête là.

Donc, Enzo n’est pas loin d’atteindre le mètre quatre-vingt-dix, est charpenté comme un joueur de rugby, sport qu’il a d’ailleurs un temps pratiqué dans sa jeunesse et en prison, possède un corps totalement dépourvu d’une once de graisse. Entretenus avec acharnement grâce à la salle de sport de la maison d’arrêt de Rimini, ses abdominaux feraient pâlir de jalousie un culturiste. C’est d’ailleurs grâce cet entrainement qu’il a pu se forger un physique aussi plaisant. Parce qu’il faut bien l’avouer, Enzo ne laisse pas indifférentes les femmes qu’ils croisent dans la rue, même si, de son côté, il n’y prête guère attention.

Une fois la barrière de l’aspect général passé, on s’attarde volontiers sur son teint halé ainsi que ses traits durs et marqués, cherchant à savoir ce que cache ce visage fermé, à l’air grave trop souvent présent. Puis vient la rencontre avec son regard qui vous touche de plein fouet car ses yeux, oscillant entre le vert amande et le vert mousse, rendent son regard profond, parfois sombre et troublant. Appuyé par cette tristesse qu’il a dans ses prunelles, vous risquez d’en avoir le souffle coupé lorsqu’il se permet de poser sur vous ses pupilles. D’ailleurs, son sourire n’est présent qu’en de rares occasions ce qui accentue cette impression de mélancolie qu’il se traine depuis des années.

A l’approche de sa sortie du pénitencier, la direction lui a donné la permission, et ceci afin de ne pas avoir trop de difficultés de réinsertion, d’arborer une coupe plus classique que le crane rasé qu’il est d’usage d’avoir dans les prisons d’Angleterre. De ce fait, Enzo porte désormais sa chevelure brune impeccablement taillée avec pour seule petite coquetterie, quelques broussailles sur le dessus de la tête afin de briser ses souvenirs de la détention.

Quelques cicatrices parsèment son corps, lui rappelant certaines bagarres entre détenus, d’autres dont une au beau milieu de son front, le ramènent à des matchs de boxe, organisés par les gardiens. Le tout accompagnés de tatouages sur les épaules et aux poignets.

Enzo est un homme qui a vécu beaucoup de choses, beaucoup trop jeune et bien évidemment, cela lui a forgé un caractère dur, s’apitoyant rarement sur son sort et celui des autres. Les années de prison n’ont pas arrangé le tout même si, lorsque l’on essaie de le connaitre un peu mieux, on découvre rapidement un homme sensible mais blessé par son passé.

Cet écorché vif a toutefois gardé le sens de la famille même si ses parents ont depuis longtemps baissés les bras en ce qui concerne l’innocence de leur fils, il ne peut pas ne pas être présent pour eux et surtout pour sa petite sœur qu’il adore depuis sa venue au monde. Toutefois, Enzo se sent enfermé dans l’incertitude depuis quelques jours car il sait que sa sortie est proche et cela le rend inquiet.

Les années de détention n’ont pas aidé Enzo à s’ouvrir aux autres, bien au contraire. Dans ce milieu fermé, il en a fait de même et a gardé toutes ses émotions pour lui. Renfermé, il n’aime pas parler de lui, se trouvant peu intéressant et ayant peu de choses à dire sur lui-même. D’ailleurs, que peut-il bien raconter après avoir été enfermé 10 ans de sa vie, ça n’aide pas pour établir un dialogue.

Mais une fois que vous avez percé sa coquille, vous aurez devant vous quelqu’un de courageux, qui n’hésite pas à relever ses manches pour s’assumer. La vie ne lui a pas fait de cadeau, certes, il n’a plus envie de se laisser faire et compte bien changer le cours de sa vie.

Il y a plusieurs choses qu’Enzo aime dans ce bas monde et la plus importante de toute, c’est sans contexte sa petite sœur, Ella. Pour elle, il ferait le tour de la terre si cela s’avérait nécessaire et ses dix années passées loin d’elle n’a fait que renforcer ce désir d’être proche d’elle, même si il sait d’avance que cela ne sera pas facile pour tous les deux. Toutefois, il a envie de garder confiance.
Viens ensuite, ses parents. Même si ils se sont éloignés de lui, il sait qu’il ne les a pas aidé à venir jusqu’à lui et le regrette amèrement. Cependant, il leur garde un amour particulier.
Son contrôleur judiciaire, Ettore Tosti. Lui, c’est je t’aime, moi non plus. Par la force des choses, Enzo est obligé de le voir plusieurs fois par semaine et ne l’apprécie pas plus que ça mais ne le déteste pas non plus. Relation conflictuelle au demeurant entre ses deux hommes.
Sinon, Enzo aime la simplicité, ainsi que le chocolat, les Pasta de sa mère et les sports automobiles. Il déteste son avocate, quelques codétenus et les hôpitaux sans oublier un certain Giacomo Ricci.

Les légendes ? Ce ne sont que des histoires pour endormir les questions que les enfants peuvent poser ! Voilà ce que je vous aurez répondu il y a une dizaine d’années si vous étiez venu me voir à l’époque. J’aurais sourit aussi, peut être même ri de votre question que j’aurais trouvé sans doute absurde. Je vis dans un pays remplit de légendes en tout genre, comment voulez-vous que l’on cautionne toutes ces fables ?
*prenant l’air grave*
Oui mais voilà, depuis, les choses ont changé, j’ai changé. Je me suis documenté, j’ai fais des recherches, j’ai beaucoup appris et je dois vous avouer que ces légendes me font peur car si elles sont avérées, alors je n’aurais jamais assez d’une vie pour me repentir car j’ai commis le pire des crimes qu’il puisse exister sur cette terre. J’ai détruis la vie de la seule personne qui a de l’importance pour moi et franchement, dites-moi comment je fais pour vivre avec cette idée là si la légende des colonnes de l’Enfer est véridique ?

Enzo est un être solitaire par la force des choses. Après son incarcération, il s’est méfié des gens qui l’entouraient, ne voulant rien leur révéler de sa vie, les tenant éloignés ainsi de tout ce qui faisait son univers. La prison n’est pas un endroit où l’on se fait des amis donc c’était réellement une nécessité. Maintenant qu’il est à nouveau libre, il doit s’adapter aux gens qui l’entourent, apprendre à les connaitre, à leur faire confiance. Pour lui, c’est ce qui va être le plus dur. Malgré tout, il veut bien leur donner une chance et ne pas jouer les sauvages en les repoussant constamment.
De plus, il a envie de reconstruire sa vie, trouver un métier mais par-dessus tout, il veut revoir sa sœur. Le souvenir d’une enfant de 12 ans est gravé dans sa mémoire et il veut savoir si tout va bien pour elle, si sa vie a changé, si elle a besoin d’aide, si le lien puissant qui les unissait autrefois est toujours là. Et puis, il veut se faire pardonner quitte à devenir envahissant avec Ella.

La vie est un long fleuve tranquille

Quelque part en Toscane, au début d’un été, quelques trente ans plus tôt. Madame Ziani, au terme de sa grossesse, avait quitté, avec son mari, le cœur de Venise, trop bruyant trop chaud et surtout trop envahi de touristes, afin d’attendre paisiblement l’arrivée de leur premier enfant. Et c’est donc dans cette charmante partie de l’Italie où la vigne prend racine pour donner le chianti que naquit Enzo, par une journée plus chaude qu’à l’accoutumée, où un violent orage d’été avait fait entendre ses roulements pendant que madame Ziani, elle, faisait résonner ses cris. Après des heures de travail qui semblèrent interminables à la maman, Enzo était enfin arrivé, créant immédiatement un sentiment de bonheur et d’adoration chez ses parents.

Bébé calme et tranquille, Enzo fut un nourrisson comme beaucoup de familles en rêvait, faisant ses nuits rapidement, gazouillant au moindre regard des adultes et cette plénitude se poursuivit durant les premières années de sa vie où Enzo ne rencontra aucun souci particulier. C’était un petit garçon qui alliait la vivacité, la curiosité et la facétie et ses parents lui pardonnaient beaucoup de choses, trop heureux déjà d’avoir un fils alors qu’ils espéraient tant voir la famille s’agrandir et que cela ne se faisait, malheureusement, pas. Enzo continua donc son petit bonhomme de chemin au travers de l’enfance.

Bien des années s’écoulèrent avec des hauts et des bas, comme dans toute famille. La dixième année d’Enzo marqua un grand bouleversement. En effet, les Ziani eurent enfin l’immense bonheur d’accueillir une petite Graziella dans leur monde. Enzo, ravit, mit un point d’honneur à toujours protéger cette petite sœur qui venait bousculer ses habitudes et sa façon de vivre. Dès le premier regard qu’il porta sur ce petit être, il se promit de tout faire pour que jamais il ne lui arrive quoique ce soit. Seulement voilà, Enzo s’apprêtait à prendre un chemin bien sinueux, préférant la liberté aux contraintes. Les études n’étaient pas son fort et malgré le fait que son père le menaçait souvent, rien n’y faisait. D’ailleurs, ce dernier contraint l’adolescent à avoir des activités extra scolaires tel que la pratique du rugby ou même la natation pour essayer de le canaliser mais Enzo ne voyait que par ses amis qui étaient autant épris de liberté que lui-même. L’adolescence fut un véritable calvaire pour la famille Ziani car Enzo se mit à fréquenter plus assidument certains enfants du quartier bien peu recommandables et enchaîna bêtises sur bêtises.

L’herbe est plus verte ailleurs.

Tout en grandissant, Enzo se faisait de plus en plus rare à la maison, faisant le mur la nuit afin de retrouver la bande de petits malfrats qui se disait ses amis. Le jeune homme était sur une pente vraiment vertigineuse et ne s’en rendait pas vraiment compte. Le manque de travail à l’école l’avait forcé à abandonner les études et mis à part quelques contrats en tant qu’intérimaire, sa vie n’était pas vraiment idyllique. Alors, avec ses nouveaux compagnons, ils se mirent à chaparder du matériel dans certains entrepôts de la ville pour les revendre et se faire un peu d’argent ou à voler les nombreux touristes de la ville, surtout en période de carnaval. C’était si facile pour ces jeunes qui se plaisaient à vivre ainsi à leur rythme en ayant de l’argent lorsqu’ils le désiraient. Et pour Enzo, c’était un moyen de contribuer un peu à la vie de sa famille tout en leur taisant l’origine de ses ressources.

Cependant, chaque action a toujours un revers de médaille et ce dernier arriva rapidement. C’était en février, mois du carnaval mondialement connu. Alors que le jeune homme avait emmené sa sœur suivre un groupe de personnages haut en couleurs, ils s’étaient trop approchés des Colonnes de l’Enfer. Enzo voulant s’amuser, avait chahuté sa petite sœur qui, même si elle ne le montrait que peu, était effrayée par la légende qui accompagnait ces colonnes de granit. Quelques minutes plus tard, le drame était arrivé. En voulant la protéger d’un groupe qui s’avancer droit vers eux, Enzo avait, sans s’en rendre compte, poussé Graziella dans le passage interdit. La panique s’était alors emparé de lui puis le remord fit son oeuvre en lui assombrissant l'esprit et lorsque le soir, il reçut un appel de Romana, une ancienne compagne, qui lui demandait de le rejoindre à son appartement pour lui parler, il ne se désista point de peur de commettre encore une fois l’irréparable. La voix de la jeune femme étant entrecoupée de sanglots, le jeune homme se rendit aussi vite qu’il le pouvait à ce rendez-vous nocturne. Malheureusement, ce qu’il découvrit à ce moment-là ne fut qu’une horreur. En effet, le corps de la jeune femme était étendu sur le sol, baignant dans son sang et sauvagement mutilé. Alors qu’Enzo se précipitait afin de savoir si elle était toujours vivante, il vit l’arme du crime et la prit dans ses mains sans vraiment réfléchir. Et c’est ainsi que la police le découvrit, arme au poing, penché au-dessus de la victime.

Dénoncé par un coup de fil anonyme, Enzo comprit rapidement qu’il s’était fait piégé. Par qui, pourquoi, il n’avait aucune réponse à donner au moment de son arrestation et s’en foutait royalement. Romana avait été assassinée et lui était accusé de meurtre.

Coupable avant d’avoir été jugé.

Enquêtes, preuves, témoins, inculpation. Enzo eut un des procès le plus rapide de l’histoire. A peine interrogé que déjà il était coupable aux yeux des policiers malgré le fait qu’il clamait haut et fort son innocence. Ne voulant pas faire plonger sa famille dans son cauchemar et dépenser le peu d’économie que ses parents possédaient, il accepta une avocate commis d’office. La jeune femme fit un bon travail et réussit même à accumuler quelques preuves en faveur d’Enzo ce qui présageait une fin de procès moins noire que ce que l’on aurait pu imaginer. Mais alors qu’elle en était à sa plaidoirie, essayant de faire basculer le procès du côté du jeune homme, une soudaine absence de la jeune femme jeta un froid parmi les personnes présentes. Juliana di Benedetto était bien dans la salle mais semblait ne plus savoir ce qu’elle faisait là et encore moins ce qu’elle disait. Cette inattention, sans doute due au stress d’un grand procès médiatisé, qui en plus était le premier pour la jeune femme, ne dura que quelques instants mais parut une éternité à Enzo sur son banc des accusés mais ce passage à vide condamna immédiatement le pauvre garçon. Il en prit pour dix ans, dix longues années au pénitencier de Guidecca.

Retour aux sources.

Grillage, lumière de jour comme de nuit, interdiction de faire quoique ce soit sans l’accord des gardiens, tout juste le droit de respirer, voilà à quoi ressemblait la vie en milieu carcérale. Et encore, Enzo n’avait pas été mis en quartier haute sécurité. Non, on l’avait simplement placé parmi des tueurs, des égorgeurs, des hommes sans foi, ni loi, lui qui clamait son innocence, lui qui n’avait rien fait et que l’on avait condamné.

A peine arrivé, Enzo avait subi une fouille en règle, une douche forcée et une coupe de cheveux obligatoire. De quoi rendre docile celui qui avait envie de se rebeller. Il fallait écouter les ordres, constamment et ne jamais répliquer. Guidecca était pire qu’un camp militaire de l’armée de la Reine d’Angleterre. Au début peu enclin à se fondre dans la masse, Enzo avait essayé de résister mais rapidement, on le brisa par la mise en isolation, par des brimades morales et corporelles. Alors, Enzo avait vite adapté son comportement, se pliant aux règles du jeu mais intérieurement, il bouillait.

Comme il se tint correctement assez vite, le directeur de la prison le prit sous son aile, trouvant qu’Enzo ne ressemblait pas aux prisonniers habituels. Ce grand gaillard pouvait l’aider à maintenir un semblant de calme dans la fosse aux lions et l’aider à faire respecter le règlement. En contrepartie, on l’autorisa à garder la photo de sa petite sœur avec lui. C’était la seule chose qu’Enzo avait demandé pour ne pas oublier, pour ne pas s’éloigner d’Ella. S’il ne pouvait plus la voir physiquement, il savait qu’elle serait à ses côtés en pensées.

Ainsi sa vie s’organisa tant bien que mal. Il prit des coups, en donna, se fit respecter, respecta d’autres prisonniers et tout se passa plus ou moins bien. Il réussit à faire du sport, beaucoup de sport, ce qui l’aida à tenir mentalement, participa à des combats de boxe que la prison organisait avec d’autres pénitenciers afin de se faire un peu d’argent que le directeur gardait jusqu’au jour de sa sortie, organisa même un tournoi de rugby avec les autres condamnés. Il fut même un temps responsable de la bibliothèque du pénitencier et en profita pour lire énormément d’ouvrages traitant toujours du même thème : les Colonnes de l’Enfer. Mythe ou réalité, il voulait savoir ce qu’il en était.

Les dix ans s’écoulèrent sans que jamais il ne puisse revoir ses parents, ni même sa sœur. Il savait qu’il leur avait fait beaucoup de mal mais lui aussi souffrait terriblement. Son cœur, son âme, sa tête clamaient son innocence et personne ne voulait l’écouter et puis il y avait ce terrible secret qu’il n’avait jamais dit à personne. Il avait passé dix ans de sa vie à se poser des questions sur Ella, ce qu’elle devenait, rongé par le remord de l’avoir taquiné et fait traversé les colonnes de granit. Dix longues années à se demander si sa petite sœur allait bien, si les Colonnes de l’enfer n’avaient pas eu raison d’elle.

Aujourd’hui, à l’aube de la trentaine, Enzo était enfin libéré et pouvait reprendre une vie normale… mais qu’était-ce une vie normale pour un homme que l’on avait jugé coupable alors qu’il était innocent et qui n’avait plus aucun lien avec les siens ? Cette liberté si longtemps réclamée venait à faire peur à Enzo et sa seule préoccupation pour l’heure était de retrouver Ella.